Je suis pas vieille je suis vintage

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Internat médecine générale, semestre en autonomie chez le généraliste


                  La rue gronde, cet éternel passage de bus, les redémarrages en trombes, la cloche du tramway incessante, tandis que survient la nuit, ses sirènes, les prostituées qui prennent place dans l’arrêt de bus sous ma fenêtre, alpaguant les passants en quête d’une passe et d’un billet de vingt euros.

Comme la vie peut changer en un instant. Loin de moi désormais la vie insulaire, l’air du large, mes patients qui sentent bon l’air marin et les envies d’ailleurs. Mes obligations universitaires m’ont rattrapé et la faculté m’a imposé un stage en autonomie chez le généraliste. La grande ville, tout ce que je ne souhaitais pas. Comme un écho, la chanson « All the right Moves » fend la nuit.

 Catapulté dans cette cité dortoir de vingt mille habitants jouxtant la métropole voisine, dans un cabinet de groupe, je n’avais pas vu venir l’ennui et le désespoir, mes rêves de Caraibes et de médecine des îles anéanti pour six mois.

Je rends visite à domicile à Mme Security. Tandis que j’arrive dans le petit lotissement lugubre, je cherche le numéro de la maison en question quand je m’arrête devant une vieille bâtisse qui semble à l’abandon. Herbes folles, lierre semblent avoir repris le dessus dans cet espace. Je ne remarque pas tout de suite la caméra au-dessus de la porte d’entrée dont le volet roulant est abaissé. Je sors de ma voiture et m’approche du bâtiment. Déjà le malaise et une once d’inquiétude me gagnent : où suis-je tombé ?

Je remarque alors le petit boitier près de la porte du garage. Je tape le code. Le clavier s’abaisse laissant apparaitre une clé, celle du garage. J’ai le sentiment d’être dans un film d’espion, je m’imagine déjà soigner un agent secret en planque ou pénétrer un quartier secret à la Shutter Island.

Je pousse la porte et suis pris d’un frisson : un fil à linge tendu avec de multiples choses accrochées dessus se prend dans celle-ci et bascule faisant un bruit terrible. Je m’imagine une sorte de piège réservé aux voleurs façon « Maman j’ai raté l’avion ». Quel con, ce qu’on peut se conditionner et se foutre la trouille tout seul….J’appelle Mme Security, aucune réponse. Je parcours des pièces en enfilade pour finalement tomber sur un tuyau d’oxygène que je suis jusqu’à sa propriétaire…

 « Oh je ne t’avais pas entendu ! Tu es le nouveau médecin ?

-Oui je remplace le Dr A « 

Mme Security est tout sauf de la CIA. Elle me dit ne plus vouloir sortir et ne se sentir bien que dans son lit. Hormis les infirmières et les aides soignantes, sa famille ne lui rend que rarement visite. De façon troublante, elle manifeste un recul peu habituel sur son état, avec un certain degré humour. Faut dire, elle est bipolaire, ça fluctue. Son état allant diminuant, limitée par le souffle la seule solution pour éviter la maison de retraite a été d’augmenter cet étayage à domicile quitte à introduire ce système de caméra et de code.

Je suis sur le cul. Je m’attendais à une paranoïaque, je retrouve une petite mamie charmante qui me tient la conversation, trop contente d’avoir de la compagnie. On discute, elle me tutoie volontiers, me parlant de sa vie passée, me complimentant sur la blancheur de mes dents en comparaison avec les siennes. Mme Security vit par procuration à travers son téléviseur. Elle ne quitte sa chambre que pour aller dans la salle de bain. Elle fait ses besoins sur la chaise percée près de son lit.

 Masquant mon trouble, je la salue et quitte les lieux, habité par un sentiment d’enfermement insupportable.

    La vie vaut -elle la peine d’être vécue quand tout lien social semble se déliter ? Quelle sorte d’humains sommes-nous pour délaisser nos ainés qui nous ont tant appris ? Peut-on poursuivre ce mode de vie occidental récent qui nous conforte dans le déni de la vieillesse, à fermer les yeux sur ceux qu’on ne veut plus voir car ils sont le reflet de notre propre mort ?  N’a-t-on rien à apprendre d’eux ? La vie, notre mode de vie effréné la course au travail est-il le seul argument avancé pour ne plus prendre le temps de rendre visite à nos ainés, s’en occuper, partager tout simplement ? Si nous prenions le temps d’honorer un peu plus la vie de ceux qui nous l’ont donné ?

 

 


Docteur même pas peur – « On a oublié l’urgence de l’essentiel quand on a fait de l’urgence, l’essentiel. » Edgard Morin

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